Préface pour livre de Bruno Traversi, Le corps inconscient

Par Michel Cazenave

On voit bien dans ce texte, qui était au départ celui d’un doctorat universitaire, à quel point, ayant tenu compte des travaux de Mme Maillard, de l’Université de Strasbourg, et de mes propres commentaires (j’ai été si longtemps l’éditeur de Jung, puis celui de la correspondance, qui a duré quelque vingt-cinq ans, entre le psychiatre suisse et Wolfgang Pauli, prix Nobel de physique, et l’un des « pères » de ce qu’on appelait alors la « mécanique quantique » – ainsi que de toutes les réflexions de ce dernier dans le domaine philosophique et dans celui de la psychologie des profondeurs, où il était très proche des positions de quelqu’un comme Werner Heisenberg !), on voit bien, disais-je, comme Bruno Traversi, formé aux disciplines corporelles de l’extrême-orient, a assidûment fréquenté ces deux auteurs et en a tiré toute la « substantifique moelle ».

Puisque Jung, avec l’approbation formelle de Pauli, a toujours tenu que, s’il ne pouvait céder sur ce qu’il appelait « la réalité l’âme », cette âme devait toujours être en communion profonde avec tout ce que nous soufflait notre corps. Serait-ce donc pour rien que, dans l’étude qui a longtemps été la sienne de l’Alchimie comme nous l’avons pratiquée, il termine ce qui aura été son « grand œuvre », c’est-à-dire le « Mysterium Conjunctionis », par une étude de ce que Gherard Dorn, le grand élève de Paracelse, appelle l’« Unio corporalis », autrement dit les noces de l’âme et de l’esprit réconciliés, avec notre structure corporelle – sans quoi il ne saurait y avoir de percée vers ce que Scot Erigène, l’un des « mentors » de Wolfgang Pauli à la suite des conseils de Markus Fierz, professeur de physique théorique et de mathématiques dans l’une des plus prestigieuses universités de Suisse, dénommait déjà l’ « Unus Mundus » : ce monde Un où la différenciation n’était pas encore établie entre le psychique, le spirituel et le matériel ?

Réalité que Jung avait déjà relevée dans les notes finales qu’il avait écrites sur ce chef d’œuvre de l’Alchimie taoïste qu’est le Mystère de la fleur d’or – et en se rappelant que le chan inspiré, justement, du Tao, dans son mélange avec la tradition bouddhiste chinoise, a donné ce zen au Japon, que Suzuki avait si fort popularisé…

Ce qui nous fait souvenir de cet apologue zen, précisément, où l’on relève que, si l’homme ordinaire croit que la montagne existe, celui qui connaît la libération prend en compte qu’elle n’existe pas réellement, jusqu’à ce qu’il arrive à cette suprême connaissance où il doit bien admettre que, selon son mode de réalité, la montagne existe bel et bien.

Et il me semble que c’est là qu’est parvenu Bruno Traversi…

Il est vrai que l’Orient dont parle Jung est celui de Suzuki, qui a introduit le bouddhisme en Occident, et qu’il avait connu et écouté aux rencontres d’Ascona, en Suisse italienne. Mais quoi ! Ce bouddhisme existe, et il n’est que de lire les pages qu’Henry Corbin y a consacrées dans le rapport à Jung, pour savoir qu’on pouvait avoir de bien plus mauvais introducteurs !

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